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Le crime de l’Orient-Express

J’avais envie aujourd’hui de parler d’un grand classique de la littérature policière. Un livre qui m’a marquée la première fois que je l’ai lu, adolescente. Qui continue d’ailleurs de me faire voyager encore et toujours. Vous l’avez sûrement déjà lu, peut-être à l’école, ou du moins avez-vous peut-être déjà vu une adaptation télévisée ou au cinéma. Alors, je vous l’avoue, j’ai quelque peu hésité à écrire cet article. À quoi bon parler d’une histoire que tout le monde connaît ? D’autant plus que je vous avais déjà écrit une chronique à propos d’un livre d’Agatha Christie ici. Mais, partant du principe que les grands classiques sont parfois ceux que l’on connaît véritablement le moins, j’ai persisté (ne m’en voulez pas trop 😉). Et, afin tout de même de varier, je ne me suis pas intéressée uniquement au roman, mais également à ses principales adaptations ainsi qu’à son influence pharaonique dans la culture populaire. Bonne lecture !

Le roman

Je m’en vais tout de même avant tout vous résumer l’histoire. Le célèbre détective belge Hercule Poirot vient tout juste de régler une importante affaire à Alep. Il espère enfin pouvoir s’accorder quelques jours de vacances bien méritées dans la ville. C’était sans compter évidemment sur la masse de travail qui l’assomme habituellement – qui n’a jamais été détective ne peut pas comprendre. En effet, à peine a-t-il le temps de déposer ses bagages qu’un télégramme lui parvient de Londres : on l’y attend d’urgence. Afin de rentrer rapidement au pays, une seule solution : l’Orient-Express. Ce train grandiose et luxueux capable de rallier Stamboul à Calais en seulement quelques jours. Je vous mets d’ailleurs plus bas dans l’article de plus amples informations à ce sujet pour ceux d’entre vous qui, comme moi, ont les yeux qui brillent devant ce genre de machines.

Dans le train l’emmenant à Stamboul, d’où démarre l’Orient-Express, Hercule Poirot fait la connaissance de Mary Debenham et du colonel Arbuthnot. Ces deux-là prétendent mordicus ne s’être jamais rencontrés avant, et pourtant Poirot surprend entre eux une conversation qui laisserait supposer tout l’inverse. Son intrigue grandit encore lorsque, une fois arrivés, il découvre que tous deux feront le reste du voyage avec lui. Tous les compartiments sont d’ailleurs occupés, ce qui est curieux en cette saison. Peu importe, le périple peut maintenant commencer. Et l’Orient-Express démarre.

Comme le fait remarquer Poirot à son ami Monsieur Bouc, directeur de la société des Wagons-Lits, il y a là à bord de ce convoi des gens de tous âges, de toutes nationalités et de tous caractères. Et tous ces gens, l’espace de quelques jours, vont manger et dormir sous le même toit. Parmi les passagers, se trouve un dénommé Ratchett, un Américain à l’air important qui se déplace en compagnie de son secrétaire, Hector MacQueen. Si son allure générale dégage plutôt une impression agréable, le détective ne manque pas de remarquer ses petits yeux cruels. Lorsque Ratchett lui confie donc craindre pour sa vie et lui demande d’assurer sa protection, Poirot refuse poliment : « Pour tout vous dire Monsieur, votre tête ne me revient pas. ».

Or, il se trouve que, la nuit même, Ratchett est sauvagement assassiné par arme blanche. Douze coups de couteau dans la poitrine, qui semblent étrangement avoir été portés par plusieurs personnes différentes. La porte du compartiment était verrouillée de l’intérieur. L’assassin est forcément l’un des passagers. Pour ne rien arranger à la situation, le train est bloqué par la neige en pleine Yougoslavie, ce qui rend l’intervention de la police impossible. C’est donc dans ces conditions que l’enquête du célèbre détective Hercule Poirot commence.

Très vite, il se rend compte que certains indices présents sur le lieu du crime sont pour ainsi dire trop beaux pour être vrais. Cela semble en effet impossible qu’un assassin commette tant de maladresses, comme par exemple oublier son cure-pipe ou son mouchoir à côté du cadavre. Les interrogatoires des différents voyageurs semblent également pipés, comprenant trop de faux-semblants et de contradictions. Mais un petit détail retient l’attention du détective : un petit bout de papier mal brûlé sur lequel figurent ces mots : « Souvenez-vous de la petite Daisy Armstrong »

La suite, je vous laisse la découvrir par vous-même… Agatha Christie réussit grâce à cette intrigue mythique à marquer définitivement de sa plume l’histoire du roman policier. Le livre fût publié pour la première fois en 1934. À cette époque, l’auteure anglaise avait déjà connu le succès, avec notamment La mystérieuse affaire de Styles ou encore Le train bleu (le thème du chemin de fer étant visiblement l’une de ses thématiques récurrentes), mais jamais elle n’avait atteint ce niveau de popularité.

Adaptations

Nombre de réalisateurs s’inspirèrent de l’histoire, autant pour la télévision que le cinéma. Récemment, c’est Kenneth Branagh qui adapta le roman sur grand écran, campant lui-même Hercule Poirot. J’ai pour ma part trouvé le film très moyen, pas très fidèle au roman et à l’univers créés par Agatha Christie. Les acteurs me sont apparus peu convaincants, d’un Poirot beaucoup trop intrépide et aventureux, à une Michelle Pfeiffer figée et trop théâtrale à mon goût. Les décors, bien qu’impressionnants, sentaient le fond vert à plein nez. Ce n’est donc pas cette adaptation que je tiens à vous conseiller, bien que la bande-originale vaille le détour.

La réinterprétation de cette histoire qui me semble être la plus juste et la plus fidèle est celle pour la télévision anglaise réalisée par Philip Martin. Dans le rôle du détective, on retrouve cette fois-ci David Suchet, qui est et reste à mon sens le meilleur acteur l’ayant incarné. Je vous recommande d’ailleurs toute cette série, toujours très réussie.

L’Orient-Express

On le sait peu, mais la création de ce train luxueux et devenu mythique qu’est l’Orient-Express revient de droit à un Belge. Georges Nagelmackers, banquier et ingénieur liégeois, a l’idée depuis un moment déjà de révolutionner le domaine du voyage. En 1867, lors d’un séjour aux États-Unis, il découvre les sleeping-cars américains, conçus par l’industriel George Pullman. Technologiquement parlant, ces derniers sont sans aucun doute bien plus avancés, plus rapides aussi, que leurs homologues européens. Cependant, ils sont de l’avis général également bien moins confortables. D’autre part, Nagelmackers découvre les aménagements luxueux des paquebots transatlantiques. Tout ce faste, cette décoration et ce personnel au service des voyageurs l’impressionnent. C’est de cette combinaison des deux que naît l’Orient-Express.

Trajets effectués par l’Orient-Express entre 1921 et 1939

L’Orient-Express, ce train qui en a fait rêver plus d’un. Plus chic que le TGV, plus cher que même l’avion. Dès sa création en 1883, il relie Paris à Vienne, avant que les dirigeants de la Compagnie des Wagons-Lits, enorgueillis de leur succès, décident de voir plus grand encore et effectuent dès la fin de la Première Guerre mondiale quelques changements de parcours. Désormais, ce n’est plus seulement la vieille Europe de l’Ouest que le prestigieux convoi ralliera, mais aussi Budapest, Bucarest, Athènes, Belgrade, pour finir son trajet à Constantinople, l’Istanbul d’alors.

Exemple de menu servi à bord

À cette époque, qui signe donc l’apogée de l’Orient-Express, il n’est pas rare que de nombreux passagers de marque viennent de temps à autre s’y inviter. Parmi les riches et célèbres ayant posé bagages dans l’un de ces compartiments, citons donc le roi des Belges Léopold II, qui avait auparavant contribué à la naissance de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits en apportant son soutien à Nagelmackers. Le monarque convie de nombreuses autres têtes couronnées au voyage. L’Orient-Express acquiert donc à cette occasion le surnom de « roi des trains, train des rois ». Parmi les autres passagers notoires, on peut aussi remarquer la présence de Josephine Baker, Coco Chanel, Jean Cocteau, Tolstoï, Ernest Hemingway, Agatha Christie bien sûr (qui y passa même une lune de miel !), Albert Einstein ou encore Sigmund Freud. L’aventurier Lawrence d’Arabie l’emprunta également lors de l’un de ses nombreux périples. Marlene Dietrich y rejoignait certains de ses amants, dont Jean Gabin. Le sultan Abdülhamid II transforma le temps de quelques jours le train en véritable harem pour lui et ses nombreuses femmes.

Après deux guerres mondiales et une guerre froide, force fût de constater que l’Orient-Express avait quelque peu perdu de son panache et de sa renommée. L’arrêt définitif du train est signé en 1977. Néanmoins, en 1982, la société britannique Belmond rachète et restaure une partie des compartiments du convoi d’origine, et propose de faire revivre à ceux qui le souhaitent – et en ont les moyens – l’expérience fastueuse. Le Venise-Simplon-Orient-Express, toujours en circulation aujourd’hui, permet de rallier Londres, Venise et Vérone via Paris, plus rarement Budapest, Berlin, Vienne et Prague. Une fois par an, le train renoue avec le trajet originel en poussant le voyage jusqu’à Istanbul. L’immersion est totale puisque le confort présent à bord est rigoureusement celui de l’époque : ni douche, ni climatisation, ni WIFI, et le chauffage est toujours assuré par d’antiques poêles à charbon.

J’espère que cet article un peu différent de d’habitude vous aura plu et à bientôt ! 🎭

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Le parfum ou l’histoire d’un meurtrier, Patrick Süskind

Jean-Baptiste Grenouille. Ou l’histoire d’un être vil et ingrat qui parvient à dominer le monde. Son nom, pas besoin d’avoir lu Le Parfum pour le connaître, tant il fait partie désormais de la Pléiade populaire, celle des mémoires, celle de la littérature accessible. C’est le récit de la vie d’une créature plus que d’un humain, une créature dénuée de sentiments, qui vit grâce aux odeurs. Son seul moyen d’expression, c’est son nez. Bien sûr, cet organe nous permet à tous de respirer, de sentir, de nous maintenir en vie, en somme. Mais pour Grenouille, l’ignoble Grenouille, le nez permet de saisir l’essence de la vie, la seule chose vraiment valable en son monde.

L’histoire de ce nez commence donc un matin de l’an de grâce 1738, au cimetière des Innocents, faisant alors office de marché aux poissons. Là, une femme met littéralement bas :

Et quand les douleurs se précisèrent, elle s’accroupit et accoucha sous son étal, tout comme les autres fois, et trancha avec son couteau à poisson le cordon de ce qui venait d’arriver là.

Ironie du sort, l’enfant qui naquit dans ce qui fût sûrement l’endroit le plus puant de Paris, était destiné à n’avoir toute sa vie aucune odeur corporelle. Cet handicap, car c’en est un, le condamne à n’être toujours qu’un paria, rejeté dès l’enfance par les humains « normaux » qui, eux, fleurent bon la transpiration, le sang, voire l’urine. Cependant, il s’accroche à la vie, Patrick Süskind le comparant même régulièrement à une tique ayant délibérément choisi son existence de parasite. Car Grenouille n’est pas touché par les moqueries dont il est l’objet. La seule chose vraiment importante pour lui, seule chose aussi qu’il ne possède pas, ce sont les odeurs.

Comme évoqué plus haut, Grenouille est doté d’un organe olfactif exceptionnel. Un nez capable de retracer l’origine d’une senteur, d’en décortiquer les moindres fragrances, formant ainsi une sorte de bibliothèque mentale des odeurs. Un soir, il en distingue une parmi toutes celles qui peuplent la ville, indicible. Pour la première fois de sa vie, il ressent une émotion, le besoin irrépressible de posséder cette odeur. Au fond d’une cour, une jeune fille rousse est en train d’éplucher des mirabelles. C’est elle qui sent si bon, c’est elle qui rend Grenouille fou. Il la tue. Et Jean-Baptiste trouve donc sa voie.

Et comme tous les scélérats de génie à qui un événement extérieur trace une voie droite dans le chaos de leur âme, Grenouille ne dévia plus de l’axe qu’il croyait avoir trouvé à son destin. Il comprenait maintenant clairement pourquoi il s’était cramponné à la vie avec autant d’obstination et d’acharnement : il fallait qu’il soit un créateur de parfums. Et pas n’importe lequel. Le plus grand parfumeur de tous les temps.

Le lecteur suit alors le fil de ses pérégrinations, de son apprentissage chez le maître parfumeur Giuseppe Baldini (dont il redresse le chiffre d’affaires alors en chute libre), jusqu’à son séjour de sept ans reclus dans une grotte du Plomb du Cantal, en Auvergne.

On en arrive là au moment le plus passionnant de l’histoire. Celui de l’arrivée de Grenouille à Grasse, capitale mondiale du parfum. Il y travaille comme assistant, mais très vite, Jean-Baptiste à une autre idée en tête. Les fleurs, les fruits, les plantes, tout ça c’est bon pour ceux qui manquent d’ambition. Lui, il voit plus grand. Lui, il veut s’approprier les odeurs humaines, plus particulièrement celles des jeunes filles vierges. Commence alors une longue série de meurtres, terrorisant la ville, qui n’auront au final qu’un seul but : dominer le monde.

C’est un livre violent d’impudeur et d’horreur. L’histoire d’un fou, certes, mais dont le crime au départ a été d’être différent. On assiste, fasciné, à l’ascension vengeresse de Grenouille, au développement de la haine à l’état pur, la haine des sentiments, des autres, la haine de l’humanité tout simplement. C’est aussi une fable à dimension fantastique dans tous les sens du terme. Patrick Süskind en est le chef d’orchestre, et quel auteur il fait pour être capable d’imaginer une telle aventure !

À aucun moment de la lecture, et bien que Grenouille soit le héros du livre, je n’ai réussi à éprouver la moindre empathie pour ce personnage. Elle est aussi là, la force de l’auteur, parvenir à créer un protagoniste si écœurant et repoussant, tout en gardant l’attention du lecteur jusqu’au bout, tout en suscitant l’envie de savoir ce qui lui arrive. La scène de l’asservissement du peuple par Grenouille, suivie par le délire et l’orgie qui s’emparent de tout le monde est éblouissante de folie, de beauté littéraire pure.

Je pourrais continuer longtemps mais je préfère ici vous donner la parole à vous. L’avez-vous lu ? Et si oui, puisqu’il s’agit d’un livre dur et fort controversé, l’avez-vous aimé ? Cela vaut-il la peine de regarder le film qui en a été tiré ?

Merci de votre lecture et à très bientôt sur le blog et sur Instagram ! 🎭

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Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, C. Donner

A vrai dire, cette lecture est purement le fruit du hasard. Je me promenais dans une jolie petite rue commerçante de Liège (chez moi, en Belgique) lorsque j’ai repéré, devant une librairie que je ne connaissais que de vue, un étal exclusivement fourni en livres d’occasion. Bien que je ne sois pas une grande adepte des brocantes et autres vide-greniers, j’ai toujours trouvé que ces ouvrages, parfois cornés, jaunis, avaient un charme fou. Je m’y suis donc intéressée de plus près et je dois dire que c’est avant tout le titre, pour le moins intrigant, de ce livre qui fit que je l’achetai.

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive

Cette formule, si comme moi vous ne la connaissiez pas, a été prononcée par Orson Welles. Le réalisateur voulait ici parler des acteurs et de toutes personnes travaillant dans le milieu du cinéma. Quiconque exerce un métier de cinéma mérite tout ce qui lui arrive. La preuve nous en est donc donnée par Christophe Donner.

L’histoire se présente sous la forme d’un roman, bien qu’elle soit à l’évidence presqu’entièrement factuelle car inspirée, notamment, des remarquables Mémoires du réalisateur Claude Berri. Les personnages, les situations, les films, tout est réellement arrivé et c’est fascinant. Nous voici donc ramenés dans les années 60, en pleine Nouvelle Vague, l’âge d’or du cinéma français selon certains. Trois hommes joueront à cette période un rôle crucial dans ce milieu : Claude Berri, Jean-Pierre Rassam et Maurice Pialat. Trois amis au départ, bien que différents, qui deviendront très vite beaux-frères ennemis. Anne-Marie, la sœur adorée de Rassam, épouse Berri, dont la propre sœur, Arlette Langmann, couche avec Pialat.

Le récit est celui de l’ascension de ces trois hommes. Claude Berri, réalisateur maudit dont la vocation est, pense-t-il, de faire un cinéma autobiographique alors que personne ne s’intéresse à sa vie (il ne deviendra que plus tard le cinéaste que l’on connaît tous). Maurice Pialat qui galère, fait des caprices de stars et est sur le point de révolutionner le 7ème art avec son film Nous ne vieillirons pas ensemble. Et surtout Rassam, Jean-Pierre Rassam, peut-être le moins connu des trois, mais le plus important dans cette histoire. Ce fils de diplomate libanais, millionnaire si ce n’est plus, devenu par audace -par hasard diront certains- le plus grand producteur de films de l’époque.

Rassam et Carole Bouquet, mari et femme à l’époque

Ce livre est véritablement une immersion dans le cinéma de l’époque, qui n’est peut-être pas si différent de celui de maintenant. Drogue, coucheries, neuvaines pour Rassam, qui y laissera d’ailleurs sa peau puisqu’on le retrouvera mort en 1985 au domicile de sa femme de l’époque, Carole Bouquet. Flops successifs pour Berri, qui depuis le triomphe de son film Le vieil homme et l’enfant et après avoir été considéré comme le juif par excellence du cinéma français, tente tant bien que mal de produire un nouveau chef-d’œuvre. Montagnes russes émotionnelles pour le désagréable Pialat, qui peste à l’idée de ne pas obtenir de Palme d’or.

Jean Yanne et Jean-Pierre Rassam en 1973

Autour de ces trois-là, gravitent les stars de l’époque, tous ceux qui aujourd’hui sont considérés comme des icônes. Godard (l’auteur nous livre d’ailleurs mine de rien une analyse très pertinente de son œuvre), Macha Méril, Jean Yanne (rendu plus savoureux que jamais, plus vrai que nature) qui s’apprête à réaliser lui aussi son chef-d’œuvre culte Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil… Ce qui fait le réel charme de ce livre c’est donc justement de retrouver les stars de nos films préférés en personnages de roman, mais aussi les dialogues incisifs, le style très cynique parfois de l’auteur, mais surtout l’univers de ce 7ème art-là, qui, j’en suis sûre, vous a déjà fait rêver plus d’une fois.

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Les cygnes de la cinquième avenue, Melanie Benjamin

Attention ovni littéraire ! Un livre pour les passionnés de littérature américaine et de New York à la belle époque.

Regardez bien cette photo… Lui, vous le connaissez déjà. Peut-être même l’avez-vous lu. Sans doute êtes-vous déjà au courant de quelque fait de sa vie, surtout si vous avez vu le biopic qui lui est consacré et dans lequel Philip Seymour Hoffmann tenait son rôle. Lui, vous l’aurez compris, c’est Truman Capote. Elle, elle s’appelle Babe Paley, et si l’on se souvient peu de son nom aujourd’hui, elle fut dans les fifties l’une de ces femmes qui faisaient New York.

Ce livre raconte donc la relation amicale tumultueuse mais ô combien passionnée entre ce génie de la littérature et celle qui fut en quelque sorte sa muse, lui inspirant par exemple le personnage de Holly Golightly dans Breakfast at Tiffany’s, brillamment interprété par Audrey Hepburn. Avant d’entamer réellement cette chronique, laissez-moi donc vous les présenter tous deux.

D’abord, d’abord (comme dirait Brel, car c’est bien vers cela qu’on se dirige) il y a Truman. Dans les années 50, il est un auteur mondain, déjà populaire grâce aux quelques nouvelles publiées dans divers journaux à grand tirage, pas encore vraiment pris au sérieux par la critique, mais persuadé que son heure de gloire viendra avec son chef-d’œuvre (et de fait !). Homosexuel notoire, il partage sa vie avec l’écrivain ténébreux Jack Dunphy, qui réprouve fortement ses frivolités. On invite Truman partout, des dîners de galas aux bals mondains car, même si on le traite de petit pédé dès qu’il a le dos tourné (et il en est conscient), il amuse et divertit le gratin new-yorkais.

Babe Paley, elle, en fait justement partie de ce gratin new-yorkais. Femme de l’homme d’affaires et fondateur de CBS William S. Paley, elle a à la fois l’argent, la gloire, et surtout la beauté. Elle est la plus populaire des « Cygnes de la cinquième avenue », ces personnalités mondaines guettées à chaque coin de rue par les photographes, et dont font notamment partie Slim Keith, Marella Agnelli et autres Gloria Guinness. Véritable égérie de mode, elle fait régulièrement la couverture de Vogue et ses nouvelles tenues sont décryptées méthodiquement dans la presse.

C’est donc dans ce décor-là que nos personnages vont faire connaissance. De suite, les deux se sentent magnétiquement attirés l’un vers l’autre, pas sexuellement non, il n’y aura rien de charnel entre eux, mais bien parce que tous deux sentent les failles, les blessures enfouies de l’autre, et s’accordent pour dire qu’ils se comprennent à merveille et se sentent à l’abri de tout jugement en compagnie de leur nouveau confident. Truman sera donc introduit dans le cercle fermé de la Café Society en qualité d’amis proches de ces Cygnes. Il deviendra alors True Heart, surnom repris en cœur par toutes ces femmes ravies de connaître un nouveau sujet de distraction pour leurs soirées, car c’est tout de même vrai qu’il est drôle, Truman, avec ses anecdotes parfois grivoises, dont on fait semblant d’être choquées ! Viendra ensuite De sang-froid, son chef-d’œuvre, et avec lui, comme prévu, la gloire.

L’histoire retrace donc cette période bénie dans cette ville mythique qu’était alors New York City. C’est le récit d’une amitié rare, profonde, qui laisse des séquelles tant elle est fusionnelle. C’est un hommage à un écrivain de génie et à une femme bouleversante et injustement oubliée. C’est un film. On voit des images d’une netteté troublante, les bulles dans les coupes de champagne, l’éclat des colliers Cartier, Franck Sinatra qui met fin à une fête car il s’y ennuie. C’est une plongée dans un monde de stars, de grands noms restés dans les annales, et c’est l’envers du décor. Ce livre est tout cela à la fois, c’est un mélange de fiction et de réel, on a le vertige rien que d’imaginer que tous ces gens ont existé. C’est une histoire de trahison qui tue, de confiance assassinée. Car Truman va être dépassé par tout cela, en publiant Prières exaucées, il va révéler tous ces secrets, ces confidences dont il était le garant.

Vous l’aurez compris, c’est un immense coup de cœur pour moi ! Les dialogues sont justes, taillés au cordeau, les personnalités de ces personnages parfaitement retranscrites. Je vous le conseille plus que vivement.

En espérant avoir réussi à vous donner l’envie de la lecture, à bientôt !

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La daronne, Hannelore Cayre

Une histoire de shit, de revanche sur la vie, et de tristesse camouflée en nostalgie. Le tout donne un assez bon mélange…

Elle s’appelle Patience Portefeux. Patience veuve Portefeux, plutôt. Car depuis la mort de son mari adoré lorsqu’elle était encore jeune, la vie n’est plus la même. Elle qui ne manquait de rien, a depuis été obligée de travailler comme interprète judiciaire. En clair, elle traduit les écoutes de l’arabe vers le français pour venir en aide aux services de police. Salaire au black, pas de retraite prévue ni d’argent de côté. Ses petites économies passent au paiement de l’EHPAD de sa mère, juive ayant survécu aux camps de concentration, et qui, aujourd’hui, reconnaît à peine sa fille. Toute sa vie, Patience a attendu. Le prince charmant, qui est arrivé pour ensuite subitement repartir par la faute d’un anévrisme. Son remplaçant, qui lui n’est jamais venu, malgré Philippe, son compagnon flic éperdu d’amour, mais qui n’est pas non plus l’affaire d’une vie. Elle a surtout attendu qu’il lui arrive quelque chose. N’importe quoi, une aventure, comme dans les romans que lisaient sa mère, et qui mettaient en scène une Juive intrépide arrivant pieds nus à Ellis Island prête à faire carrière et sensation aux USA. Mais il se pourrait bien que le vent ait tourné.

Un jour, elle surprend lors de l’une des écoutes qui lui sont attribuées, un groupe de jeunes Arabes en possession de drogue. De beaucoup de drogue. Sans réfléchir, ni une ni deux, elle les appelle afin de les prévenir que la police est sur leurs traces. Les contraignant alors à abandonner leur chargement au bord d’une route… où elle pourra aller le récupérer. Voilà comment, du statut de veuve irréprochable et de travailleuse émérite, on passe à celui de dealeuse. Et on devient la Daronne.

C’est l’histoire d’une femme avant tout, de quelqu’un pour qui la vie avait pourtant bien commencé, mais qui du jour au lendemain s’est retrouvé à devoir trimer. Elle raconte sa vie, de son enfance mondaine à son veuvage, de son travail déprimant à sa nouvelle jeunesse. C’est tantôt émouvant, tantôt extrêmement drôle, tant le style est incisif et mordant. On y apprend également beaucoup de choses sur le monde de la justice, l’auteure étant elle-même interprète judiciaire. C’est très jouissif pour le lecteur d’assister à cette joyeuse revanche sur la vie et ses vacheries, car le personnage de Patience est attachant à souhait, notamment parce qu’il est loin de l’idéal de la femme parfaite, qui respecte les lois et est dévouée à ce qu’elle fait. Enfin, il y a aussi dans ce livre une belle réflexion sur l’euthanasie, avec le personnage de la mère de Patience, en état de décrépitude dans son « mouroir » comme l’appelle sa fille.

Si cette histoire vous intrigue, et si vous voulez savoir pourquoi j’ai ajouté à cette chronique une photo d’Audrey Hepburn, lisez ce joli petit livre!

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Les âmes grises, Philippe Claudel

Philippe Claudel trace ici la fresque sombre et cruel d’un village perdu dans la Grande Guerre et de ses habitants, les âmes grises.

Un patelin en pleine campagne, non loin de la grande ville de V. La Première Guerre Mondiale qui fait rage, au loin, par-delà la colline, et dont on entend à longueur de journée les échos des canons. Cette guerre ne durera pas, c’est sûr. D’ailleurs, ce n’est même pas une guerre, plutôt une bataille. Au village, on vit en marge du conflit, comme dans une bulle. Une bulle de violence sourde, qui n’attend que le moment d’éclater. Et ce point de rupture, il se présente sous la forme du meurtre d’une petite fille. On l’appelait Belle de jour, elle avait huit ans. C’était la fille de l’aubergiste Bourrache.

Des années plus tard, le policier en charge de l’affaire à l’époque, et dont on ne connaîtra jamais le nom, raconte. Il remonte avant le crime, sculpte la fresque du village, de ce qui en a fait l’histoire. Le Procureur Destinat qui perd sa femme et vit désormais reclus dans ce que l’on appelle le Château. L’instituteur que la guerre a rendu fou, et qui pisse sur le drapeau tricolore devant ses élèves. La jeune Lysia Verhareine nommée pour le remplacer à l’école, qui enchante et subjugue le village entier tant elle est belle. Si belle que personne ne remarque jamais ce sourire mélancolique et déjà absent qui se dessine sur ses lèvres quand elle ne se sent pas observée. Les premiers blessés de guerre qui affluent à l’hôpital de la ville, et avec eux les premiers drames. Tout cela, il le raconte. Sans omettre sa propre tragédie à lui, la mort en couches de sa femme, sa douce Clémence. Et tous ces événements viennent s’assembler, s’emboîter comme dans un puzzle dont il manquera à jamais quelques pièces. Pour finalement mener au meurtre de Belle de jour. S’il le raconte, c’est qu’il sait, qu’il a deviné plutôt, qu’à force de psychologie et d’obsession, il a trouvé le coupable. Mais il ne le dira pas, d’ailleurs à quoi bon, la plupart des protagonistes sont morts. Alors il l’écrit.

C’est une belle histoire que nous offre là Philippe Claudel, une histoire de passions à jamais éteintes, d’actes manqués et de regrets. Une histoire qui nous dit que nous sommes tous des âmes grises, ni toutes blanches, ni toutes noires. L’atmosphère est lourde, presque étouffante, c’est celle d’un village qui se meurt, lentement mais sûrement, et que même la guerre tient à éviter. Il faut vous prévenir si vous ne l’aviez pas déjà compris, ça n’est pas gai, pas gai du tout même. Mais qu’est-ce que c’est bien écrit ! Le style de l’auteur est ici à son apothéose, bien plus, je trouve, que dans La petite fille de Monsieur Linh, dont vous pouvez retrouver la critique ici. Quoi qu’il en soit, Philippe Claudel prouve, si besoin était, qu’il reste indéniablement l’une des figures de proue de la littérature française contemporaine, et qu’il faudra encore composer avec lui. (À noter que le roman a également connu une adaptation au cinéma, grâce au film d’Yves Angelo avec, entre autres, Jacques Villeret et Jean-Pierre Marielle.)

Le summum de ce livre réside en sa fin, troublante d’émotions mais aussi de cruauté et d’horreur. C’est compliqué de clore sa chronique, car il faut être à la hauteur. Je vous laisse donc avec cette magnifique phrase qui en est tirée, et qui résume assez bien, je trouve, l’idée générale de l’histoire.

« Il est reparti dans ses regrets, et m’a laissé dans les miens. Je savais, comme lui sans doute, qu’on peut vivre dans les regrets comme dans un pays. »

Lisez ce livre absolument sublime, et n’hésitez pas à me donner votre avis à ce sujet. D’ici là, à bientôt sur la Culturothèque du Masque !

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Un bon écrivain est un écrivain mort, Guillaume Chérel

Focus aujourd’hui sur un livre dont on ne sait trop que penser, véritable petit bijou d’irrévérence et de cynisme.

C’est l’histoire de dix écrivains dans un monastère. Dit comme ça, cela sonne un peu comme le début d’une mauvaise blague. Sauf qu’au final, celle-ci pourrait peut-être bien se révéler bonne. Dix écrivains, donc. Frédéric Belvédère, Michel Ouzbek, Amélie Latombe, Delphine Végane, David Mikonos, Kathy Podcol, Tatiana de Roseray, Christine Légo, Jean de Moisson et Yann Moite. Ces noms vous disent quelque chose ? C’est normal, car « toute ressemblance, bla-bla-bla, n’est certainement pas une coïncidence », nous prévient l’auteur d’entrée de jeu. Alors autant vous prévenir tout de suite, si jamais vous êtes un admirateur acharné de l’un de ses dix écrivains, si jamais vous êtes du genre à faire la file pour une dédicace et à tomber en pâmoison devant Amélie, Frédéric ou les autres… ne lisez pas ce roman. Car ici, chacun en prend pour son grade dans la joie et la bonne humeur (ou pas d’ailleurs). Dix grands auteurs se retrouvent donc conviés à passer un agréable séjour dans un ancien monastère franciscain, à l’occasion d’un débat littéraire animé par le célèbre Augustin Traquenard (lui aussi, on a du mal à le remettre). Sur les cartons d’invitation, une signature qui augure le mystère : Un Cognito. Arrivés sur place, point d’hôte pour les accueillir, le propriétaire du lieu ayant pris du retard dans ses affaires. De nouveau, si la trame vous fait jusqu’ici penser à un certain Dix petits nègres, (dont vous pouvez retrouver la chronique ici) c’est tout à fait normal. D’autant plus que, sur le mur des chambres des invités, une jolie comptine est accrochée :

Dix grands écrivains s’en furent prendre leur repas

L’un d’eux mangea à s’en étouffer

N’en resta plus que neuf

Neuf grands écrivains veillèrent après le dîner

L’un d’eux se promena dans l’ossuaire, et un scorpion le piqua

N’en resta plus que huit

Huit grands écrivains s’ennuyaient

L’un d’eux voulut s’endormir, une araignée le mordit

N’en resta plus que sept

Sept grands écrivains s’étaient chamaillés

L’un d’eux sortit courir l’aventure et se perdit

N’en resta plus que six

Six grands écrivains tentèrent de trouver le sommeil

L’un d’eux suivit une musique au-dehors et ne revint pas

N’en resta plus que cinq

Cinq grands écrivains dormaient enfin

L’un d’eux sous une montagne de livres

N’en resta plus que quatre

Quatre grands écrivains, au matin, se réveillèrent

L’un d’eux, dans le jardin, se fit mordre par une vipère

N’en resta plus que trois

Trois grands écrivains jouèrent à cache-cache

L’un d’eux trouva une si bonne cachette

Qu’il n’en resta plus que deux

Deux grands écrivains s’assirent au soleil

L’un d’eux y grilla

N’en resta plus qu’un

Un grand écrivain se trouva tout seul

Et ne se supportant pas se pendit

N’en resta plus… du tout.

Le soir, une fois tout ce beau monde réuni au salon, s’élève une voix, voix qui accuse un par un les auteurs, non pas de meurtre, mais plutôt de crime contre la littérature. Celui-ci écrit trop sur lui-même, celle-là a une écriture sans saveur ni relief… et c’est loin d’être tendre. Alors même si l’histoire prend au début la même tournure que le célèbre roman de l’illustre Agatha, on est bien loin de la parodie grotesque. Guillaume Chérel évite donc ainsi le piège de nous resservir une histoire que l’on connaît tous, et nous offre à la place un réquisitoire pour la littérature. Car on sent bien qu’il y a entre ces deux-là une vibrante histoire d’amour-haine. Tantôt il la critique et semble la détester. Cinq pages plus tard, il lui adresse une drôle de déclaration d’amour. Et nous, lecteurs ravis, nous assistons à cette partie de cache-cache entre eux. C’est drôle, parfois (très) cynique, c’est rapide et efficace, et surtout c’est libre. Il y a en effet dans ces lignes une liberté de ton, jouissive, que l’on n’a plus l’habitude de voir autant. Et en cela, Guillaume Chérel réussit parfaitement son défi, celui-là même qu’il reproche aux personnages de son livre de ne pas relever : il fait de la littérature un acte de résistance.

Pour terminer, penchons-nous sur le style. Avec, à nouveau, un joli tour de force. Celui d’adapter la façon d’écrire en fonction de l’auteur à l’honneur. Provocation à la limite de la vulgarité pour Frédéric Belvédère. Vocabulaire précieux et inspirations morbides pour Amélie Latombe. Et ainsi de suite. Jusqu’à oublier Guillaume Chérel. La marque des grands auteurs ?

Bref, lisez ce roman hors du commun et dites-m’en des nouvelles ! À bientôt sur la Culturothèque du Masque !

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La femme manquée, Armel Job

Où il est question d’un roman assez particulier, pas populaire du tout, dont on n’a jamais entendu parler. Et rien que pour ça, on a eu envie de le lire.

L’histoire se passe en 1980, dans les Ardennes belges. Sarteau, un petit hameau comme on n’en fait plus, où tout le monde se connaît ou croit se connaître. Un village où on se sourit. Mais derrière les masques, l’hypocrisie et les secrets. En cela, ce livre fait un peu penser à Jean de Florette et Manon des Sources de Pagnol, tant il s’agit avant tout d’un essai sur ces petits villages, où l’on vit de l’agriculture, où l’on s’entraide… jusqu’au drame qui vient faire office de limite à la gentillesse des gens. Charles Lambert a trente-cinq ans. La gueule un peu de travers, mais une belle situation avec ce que cela comporte de grande ferme et de vastes terrains. Mais, vieux garçon endurci, voilà qu’il se met à rêver d’une femme. Comment en trouver une à Sarteau, là où il les connaît déjà toutes et où aucune ne lui fait envie ? Car il est fleur bleue, notre Charles, il veut de l’amour. Alors il s’adresse à Évariste Lejeune qui, en sa qualité de premier clerc du notaire, passe pour l’un des rares érudits du patelin. Il lui demande d’écrire des petites annonces et de les faire paraître dans le journal local. Agriculteur aisé cherche femme pour mariage. Elle sera dispensée des travaux des champs, et n’aura à s’occuper que du ménage. Prière s’adresser journal qui fera suivre. Simple, clair, romantique (?). Et vous voulez connaître le pire ? C’est que ça marche ! Quelques mois plus tard, on annonce l’arrivée imminente d’Opportune la bien-nommée, jeune femme d’Outre-mer absolument splendide, soucieuse de quitter au plus vite la pauvreté de son pays. Mais, descendue de l’avion, la réalité est tout autre. Celle que l’on avait contemplée en sublime naïade sur le papier glacé de la photo, se présente à Charles totalement décharnée, malade. On marie les tourtereaux à l’hôpital… quelques heures avant le décès d’Opportune. Se révèle alors la véritable identité de Charles. C’est le début de l’ostracisme. Comment et pourquoi tout un village peut-il d’un seul coup décider de rejeter un homme qu’il connaît depuis des décennies ? Si elle met du temps à se construire, combien en faut-il pour que la solidarité s’écroule ?

C’est Évariste qui raconte. Il raconte la femme manquée, celle de Charles, mais aussi la sienne, sa passion comme il l’appelle. Et c’est troublant. Les personnages nous accrochent, comme s’ils voulaient nous prendre avec eux, pour que nous n’en perdions pas une miette. Charles est de loin le plus émouvant d’entre eux. Naïf, mais pas tant que cela au final. Faisant preuve d’une abnégation et d’un courage hors normes. Personnellement, je ne saurais dire pourquoi, j’ai pensé à Belmondo et à ces rôles qu’il tenait à l’époque de Léon Morin, prêtre. Question de physionomie, sans doute. Quoi qu’il en soit, force est de constater qu’on a là un livre efficace. Simple dans sa trame, recherché dans son style. Avec de la mélancolie, de la nostalgie même, qui nous accompagne tout du long, l’air de dire, c’est pas grave, c’est la vie. Même si le dénouement est un peu prévisible (tellement prévisible qu’on ne s’en doute même pas ?), l’histoire vaut le détour et s’illustre par sa grande simplicité, qui est presque de la pureté.

En bref, lisez ce roman si vous avez envie de découvrir un nouvel auteur, de changer de style, ou bien tout simplement si vous êtes curieux. Car, en littérature, la curiosité est loin d’être un vilain défaut.

Merci à vous d’avoir lu cette chronique, et à bientôt sur la Culturothèque du Masque !

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Dix petits nègres, Agatha Christie

On s’attaque aujourd’hui à un grand, que dis-je, à un immense classique de la littérature policière, maintes et maintes fois adapté au cinéma et à la télévision. J’ai nommé : Dix petits nègres de la non moins grande Agatha Christie.

L’histoire se déroule en Angleterre, dans le Devon plus précisément, là où s’érige au large de la Manche une île aux imposantes falaises, surnommée par les gens du coin « l’île du nègre ». Elle est entourée de mystère et fascine la presse, qui en fait des gorges chaudes. On raconte qu’elle a été achetée tantôt par une star de Hollywood, tantôt par un prince européen… si bien que personne ne sait au juste à qui elle appartient. Mais l’île va bientôt sortir de sa torpeur.

Car huit personnes ont reçu une lettre les invitant à venir passer un agréable séjour sur cette île du nègre. Elles ne se connaissent pas, ignorent tout les unes des autres, et les lettres reçues ne sont même pas toutes signées du même expéditeur. Pour l’un, c’est une vague connaissance qui l’invite, pour un autre, un ami qui organise une fête, ou encore pour certains, un patron qui les engage. Et ces personnes sont tellement différentes, qui pourrait penser à les inviter en même temps sur une île plus ou moins isolée ?

  • Monsieur Blore, ex-inspecteur de police
  • Philip Lombard, jeune homme tout juste revenu des colonies, et un peu plus de la moitié d’un voyou
  • Le docteur Armstrong, éminent médecin des beaux quartiers
  • Miss Emily Brent, vieille fille grenouille de bénitiers, toujours enveloppée dans sa vertu
  • Miss Véra Claythorne, jeune gouvernante engagée pour jouer les secrétaires
  • Le général MacArthur, vétéran de la Grande Guerre
  • Anthony Marston, jeune homme à la beauté de dieu nordique, dandy et, accessoirement, chauffard
  • Le juge Wargrave, ancien magistrat qui en a envoyé plus d’un à la potence

Il faut également ajouter à cette liste Monsieur et Madame Rogers, couple de domestiques déjà présents sur l’île à l’arrivée des invités, et qui -bizarre, vous avez dit bizarre ?- n’ont jamais vu leurs patrons. Patrons qui -quelle coïncidence !- ont pris du retard et n’arriveront pas avant quelques jours. Dix personnes se retrouvent donc seules sur l’île.

Tout ce beau petit monde s’installe donc dans la maison, surpris toutefois par tant d’étrangetés. Mais lorsque s’élève au milieu du salon une voix sortie du gramophone qui les accuse un par un de meurtre, l’agréable séjour pourrait bien vite se transformer en piège à rats. Ces accusations sont-elles fondées ? Quelqu’un viendra-t-il les chercher en bateau sur l’île avant qu’il ne soit trop tard ? Et quand un, puis deux, puis trois des hôtes meurent à la suite, l’inquiétude cède la place à la peur, celle qui vous colle à la peau et vous rend fou. D’autant plus que les morts semblent orchestrées selon un schéma bien précis, celui d’une comptine de nourrice accrochée au mur de chacune des chambres.

Dix petits nègres s’en furent dîner

L’un d’eux but à s’en étrangler

N’en resta plus que neuf

Neuf petits nègres se couchèrent à minuit

L’un d’eux à jamais s’endormit

N’en resta plus que huit

Huit petits nègres dans le Devon étaient allés

L’un voulut y demeurer

N’en resta plus que sept

Sept petits nègres fendirent du petit bois

En deux l’un se coupa ma foi

N’en resta plus que six

Six petits nègres rêvassaient au rucher

Une abeille l’un d’eux a piqué

N’en resta plus que cinq

Cinq petits nègres étaient avocats à la cour

L’un d’eux finit en haute cour

N’en resta plus que quatre

Quatre petits nègres se baignèrent au matin

Poisson d’avril goba l’un

N’en resta plus que trois

Trois petits nègres s’en allèrent au zoo

Un ours de l’un fit la peau

N’en resta plus que deux

Deux petits nègres se dorèrent au soleil

L’un d’eux devint vermeil

N’en resta plus qu’un

Un petit nègre se retrouva tout esseulé

Se pendre il s’en est allé

N’en resta plus… du tout

Ils sont seuls sur l’île. Le prédateur est forcément l’un d’eux.

Dix petits nègres est de ces livres qui vous prend et ne vous lâche plus jusqu’à la fin. Rarement on aura ressenti une telle frayeur en adéquation avec celle des personnages, rarement on aura eu autant peur à la lecture d’un livre, tant l’atmosphère est prenante et sort des pages pour vous prendre à la gorge. Classé dix-neuvième au ranking des cent meilleurs romans policiers de tous les temps, Dix petits nègres (en anglais And then there were none, littéralement Et il n’en restèrent aucun ), est un classique à côté duquel il serait dommage de passer.

Merci d’avoir lu cette chronique et à bientôt sur la Culturothèque du Masque !

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Famille parfaite, Lisa Gardner

Un vrai bon thriller comme on les aime, signé par l’une des spécialistes du genre. Attention, arrière-goût de série américaine. Trop prononcé ?

Les Denbe sont irréprochables, semblant sortir tout droit d’un magazine sur papier glacé. Il y a Justin, le père, beau, grand et fort, à la tête de l’entreprise familiale fondée par son paternel. Libby, son épouse, issue de la classe moyenne, mais qui, grâce à son mariage, fait figure de mère de famille parfaite et de femme glamour. Et puis, Ashlyn, leur fille de quinze ans, joyau de ses parents, apparemment sans histoire. Dès le début de ce livre, on se dit qu’il y a un problème. Que cela ne peut pas être si simple et si beau. Et de fait. Un soir, trois hommes les enlèvent chez eux, sans autre forme de procès. Le mobile du rapt semble évident : rançon, crime crapuleux. La détective privée Tessa Leoni est mise sur l’affaire. Elle cache elle aussi un lourd secret, celui d’avoir vécu à peu de choses près la même histoire que les Denbe. Aidée du FBI et de Wyatt, shérif du New Hampshire, elle se lance à la recherche de ces victimes dont elle se sent si proche.

Mais l’histoire serait bien banale si elle s’arrêtait à cet angle-ci. En effet, en plus de la narration externe racontant l’enquête de la police, le lecteur bénéficie d’un double point de vue avec celui de Libby Denbe, qui raconte sa séquestration et celle de sa famille. C’est là le point le plus intéressant. Car il nous offre la possibilité, à nous lecteurs, de démêler l’affaire avant la fin (bien malin tout de même celui qui y arrive). C’est surtout l’occasion de nous pencher sur la question soulevée par l’auteur : quand la routine commence-t-elle à nous ronger ? Comment une famille soudée, heureuse peut-elle d’un seul coup être envahie de non-dits et de tabous ? Car, vous l’aurez compris, les Denbe ne sont pas ce qu’ils paraissent être. Des parents aimants peuvent facilement se transformer en mari infidèle et en droguée…

Famille parfaite vaut surtout la peine d’être lu pour la diversité de ses personnages. Tous sont fouillés, des principaux (les Denbe), aux policiers, et même jusqu’aux ravisseurs. Tous ont une histoire à raconter, et attirent, à un moment ou à un autre, la sympathie, ou plutôt l’empathie, du lecteur. Mais le principal protagoniste de ce roman est peut-être le suspense. Omniprésent du début à la fin, il insuffle à l’histoire un rythme fou dont on sort lessivé.

Mais il y a tout de même, en ce qui nous concerne, un petit bémol. En effet, on peut très bien ne pas aimer le côté très américain, parfois cliché du livre. Il n’est donc pas impossible d’avoir durant la lecture un goût de déjà vu en bouche. Un peu comme ces séries policières passant en boucle sur certaines chaînes, et dont toute les intrigues se ressemblent.

Merci d’avoir lu cette chronique et à bientôt sur la Culturothèque du Masque !