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Littérature

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, C. Donner

A vrai dire, cette lecture est purement le fruit du hasard. Je me promenais dans une jolie petite rue commerçante de Liège (chez moi, en Belgique) lorsque j’ai repéré, devant une librairie que je ne connaissais que de vue, un étal exclusivement fourni en livres d’occasion. Bien que je ne sois pas une grande adepte des brocantes et autres vide-greniers, j’ai toujours trouvé que ces ouvrages, parfois cornés, jaunis, avaient un charme fou. Je m’y suis donc intéressée de plus près et je dois dire que c’est avant tout le titre, pour le moins intrigant, de ce livre qui fit que je l’achetai.

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive

Cette formule, si comme moi vous ne la connaissiez pas, a été prononcée par Orson Welles. Le réalisateur voulait ici parler des acteurs et de toutes personnes travaillant dans le milieu du cinéma. Quiconque exerce un métier de cinéma mérite tout ce qui lui arrive. La preuve nous en est donc donnée par Christophe Donner.

L’histoire se présente sous la forme d’un roman, bien qu’elle soit à l’évidence presqu’entièrement factuelle car inspirée, notamment, des remarquables Mémoires du réalisateur Claude Berri. Les personnages, les situations, les films, tout est réellement arrivé et c’est fascinant. Nous voici donc ramenés dans les années 60, en pleine Nouvelle Vague, l’âge d’or du cinéma français selon certains. Trois hommes joueront à cette période un rôle crucial dans ce milieu : Claude Berri, Jean-Pierre Rassam et Maurice Pialat. Trois amis au départ, bien que différents, qui deviendront très vite beaux-frères ennemis. Anne-Marie, la sœur adorée de Rassam, épouse Berri, dont la propre sœur, Arlette Langmann, couche avec Pialat.

Le récit est celui de l’ascension de ces trois hommes. Claude Berri, réalisateur maudit dont la vocation est, pense-t-il, de faire un cinéma autobiographique alors que personne ne s’intéresse à sa vie (il ne deviendra que plus tard le cinéaste que l’on connaît tous). Maurice Pialat qui galère, fait des caprices de stars et est sur le point de révolutionner le 7ème art avec son film Nous ne vieillirons pas ensemble. Et surtout Rassam, Jean-Pierre Rassam, peut-être le moins connu des trois, mais le plus important dans cette histoire. Ce fils de diplomate libanais, millionnaire si ce n’est plus, devenu par audace -par hasard diront certains- le plus grand producteur de films de l’époque.

Rassam et Carole Bouquet, mari et femme à l’époque

Ce livre est véritablement une immersion dans le cinéma de l’époque, qui n’est peut-être pas si différent de celui de maintenant. Drogue, coucheries, neuvaines pour Rassam, qui y laissera d’ailleurs sa peau puisqu’on le retrouvera mort en 1985 au domicile de sa femme de l’époque, Carole Bouquet. Flops successifs pour Berri, qui depuis le triomphe de son film Le vieil homme et l’enfant et après avoir été considéré comme le juif par excellence du cinéma français, tente tant bien que mal de produire un nouveau chef-d’œuvre. Montagnes russes émotionnelles pour le désagréable Pialat, qui peste à l’idée de ne pas obtenir de Palme d’or.

Jean Yanne et Jean-Pierre Rassam en 1973

Autour de ces trois-là, gravitent les stars de l’époque, tous ceux qui aujourd’hui sont considérés comme des icônes. Godard (l’auteur nous livre d’ailleurs mine de rien une analyse très pertinente de son œuvre), Macha Méril, Jean Yanne (rendu plus savoureux que jamais, plus vrai que nature) qui s’apprête à réaliser lui aussi son chef-d’œuvre culte Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil… Ce qui fait le réel charme de ce livre c’est donc justement de retrouver les stars de nos films préférés en personnages de roman, mais aussi les dialogues incisifs, le style très cynique parfois de l’auteur, mais surtout l’univers de ce 7ème art-là, qui, j’en suis sûre, vous a déjà fait rêver plus d’une fois.