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Littérature

La daronne, Hannelore Cayre

Une histoire de shit, de revanche sur la vie, et de tristesse camouflée en nostalgie. Le tout donne un assez bon mélange…

Elle s’appelle Patience Portefeux. Patience veuve Portefeux, plutôt. Car depuis la mort de son mari adoré lorsqu’elle était encore jeune, la vie n’est plus la même. Elle qui ne manquait de rien, a depuis été obligée de travailler comme interprète judiciaire. En clair, elle traduit les écoutes de l’arabe vers le français pour venir en aide aux services de police. Salaire au black, pas de retraite prévue ni d’argent de côté. Ses petites économies passent au paiement de l’EHPAD de sa mère, juive ayant survécu aux camps de concentration, et qui, aujourd’hui, reconnaît à peine sa fille. Toute sa vie, Patience a attendu. Le prince charmant, qui est arrivé pour ensuite subitement repartir par la faute d’un anévrisme. Son remplaçant, qui lui n’est jamais venu, malgré Philippe, son compagnon flic éperdu d’amour, mais qui n’est pas non plus l’affaire d’une vie. Elle a surtout attendu qu’il lui arrive quelque chose. N’importe quoi, une aventure, comme dans les romans que lisaient sa mère, et qui mettaient en scène une Juive intrépide arrivant pieds nus à Ellis Island prête à faire carrière et sensation aux USA. Mais il se pourrait bien que le vent ait tourné.

Un jour, elle surprend lors de l’une des écoutes qui lui sont attribuées, un groupe de jeunes Arabes en possession de drogue. De beaucoup de drogue. Sans réfléchir, ni une ni deux, elle les appelle afin de les prévenir que la police est sur leurs traces. Les contraignant alors à abandonner leur chargement au bord d’une route… où elle pourra aller le récupérer. Voilà comment, du statut de veuve irréprochable et de travailleuse émérite, on passe à celui de dealeuse. Et on devient la Daronne.

C’est l’histoire d’une femme avant tout, de quelqu’un pour qui la vie avait pourtant bien commencé, mais qui du jour au lendemain s’est retrouvé à devoir trimer. Elle raconte sa vie, de son enfance mondaine à son veuvage, de son travail déprimant à sa nouvelle jeunesse. C’est tantôt émouvant, tantôt extrêmement drôle, tant le style est incisif et mordant. On y apprend également beaucoup de choses sur le monde de la justice, l’auteure étant elle-même interprète judiciaire. C’est très jouissif pour le lecteur d’assister à cette joyeuse revanche sur la vie et ses vacheries, car le personnage de Patience est attachant à souhait, notamment parce qu’il est loin de l’idéal de la femme parfaite, qui respecte les lois et est dévouée à ce qu’elle fait. Enfin, il y a aussi dans ce livre une belle réflexion sur l’euthanasie, avec le personnage de la mère de Patience, en état de décrépitude dans son « mouroir » comme l’appelle sa fille.

Si cette histoire vous intrigue, et si vous voulez savoir pourquoi j’ai ajouté à cette chronique une photo d’Audrey Hepburn, lisez ce joli petit livre!